Taux d’intérêts négatifs : quelles conséquences ?

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En Europe, nous évoluons dans un contexte où les taux d’intérêts sont très bas, proches de 0, voire négatifs. Depuis juillet 2019, la dette à 10 ans de L’État français est même rémunérée à taux négatif… Mais qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Et quelles sont les conséquences concrètes sur notre économie ?

Qu’est-ce qu’un taux d’intérêt ?

Avant de rentrer dans le vif du sujet, attardons-nous sur quelques fondamentaux. Tout d’abord, qu’est ce qu’un taux d’intérêt ? C’est tout simplement le prix de l’argent. Il s’exprime en pourcentage du capital emprunté, ou prêté, selon de quel côté on se place.

Selon si l’on est le prêteur ou l’emprunteur, le taux d’intérêt peut donc être à la fois perçu comme un rendement, ou comme un coût. Et s’il y a bien une règle d’or en matière de taux d’intérêt, c’est que plus l’échéance est lointaine (à savoir, plus les capitaux sont prêtés sur une longue période), plus le taux sera élevé. En effet, le taux inclut une notion de risque. Prêter 200 000 EUR à 15 ans ou 50 000 EUR à 3 ans, ce n’est pas pareil, car l’incertitude sur la capacité de l’emprunteur à honorer le remboursement de sa dette augmente avec le temps.

Comment varient les taux d’intérêts pratiqués par les banques ?

Les taux d’intérêts sont principalement impactés par les politiques monétaires conduites par les banques centrales (BCE en Europe, FED aux États Unis, etc.). Dans le cadre de leur mission visant à maintenir la stabilité des prix, les banques centrales vont actionner un certain nombre de leviers afin d’agir sur la monnaie et stimuler l’activité économique. Elles font varier les taux directeurs, qui leur permettent d’agir sur le comportement des banques commerciales.

En Europe, on distingue trois types de taux directeurs :

  • Le taux des opérations de refinancement : taux auquel les banques commerciales empruntent des liquidités à la BCE pour une durée d’une semaine.
  • Le taux de facilité de prêt marginal : taux auquel les banques commerciales empruntent des liquidités à la BCE pour une durée de 24 heures.
  • Le taux de facilité de dépôt : taux auquel sont rémunérés (ou facturés désormais) les dépôts que les banques réalisent auprès de la BCE.

Par conséquent, si la BCE souhaite stimuler l’activité économique dans la perspective d’atteindre ses objectifs d’inflation, cette dernière va baisser les taux de refinancement ainsi que la rémunération des dépôts. Cela va dissuader les banques commerciales de conserver des liquidités, et les inciter à prêter en baissant les taux d’intérêts pratiqués auprès des entreprises et des ménages.

Concrètement, où en sommes-nous actuellement ? Les liens ci-dessous vous donnent accès :

Comment varient les taux d’intérêts des obligations ?

Avec les obligations (dont le principe de fonctionnement est abordé plus en détail ici), il convient de distinguer deux « types » de taux : le coupon et le rendement à maturité.

  • Le coupon correspond au taux d’intérêt rattaché à l’opération de prêt, que l’investisseur perçoit périodiquement. Par exemple, une obligation de 100 EUR avec un coupon de 0,5 % signifie que celui qui la possède percevra périodiquement 0,5 % de 100 EUR tant qu’il la détiendra. Tout comme les taux pratiqués par les banques commerciales, les coupons sont susceptibles de varier en fonction du niveau général des taux, de la durée, du risque…
  • Le rendement à maturité (ou taux actuariel) est une notion différente, il représente le rendement effectif de l’obligation si celle-ci est détenue jusqu’à sa maturité. Cette notion prend en compte plusieurs facteurs : le coupon, mais également le prix d’achat de l’obligation, la durée restante, etc.

Autant le coupon est généralement fixe dans le temps (à l’exception des obligations indexées), autant le rendement d’une obligation varie tout au long de son existence, en fonction de l’offre et de la demande.

Par conséquent, lorsque les investisseurs anticipent un ralentissement de l’économie, voire une récession, ces derniers vont se retourner vers des actifs plus sûrs comme les obligations. L’augmentation de la demande va tirer leur prix vers le haut, et ainsi faire plonger leurs rendements (acheter 90 une obligation qui vaut 100 offre un rendement meilleur qu’une obligation qui vaut 100 achetée 110…).

L’État emprunte-t-il vraiment à taux négatif ?

« L’État emprunte désormais à taux négatif » est une formulation que l’on voit apparaître de plus en plus dans les médias ces derniers temps. Malheureusement, cette affirmation est souvent fournie sans plus de détail, ce qui la rend particulièrement obscure et difficile à appréhender. Car les coupons des obligations émis par l’État sont pourtant positifs, ou au pire, à 0 ! Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Reprenons les choses dans l’ordre.

Dans le cadre du financement de ses dépenses de fonctionnement, l’État émet des obligations sur les marchés financiers (OAT, BTF). Les émissions de dettes se font par « adjudication », c’est-à-dire un peu comme une vente aux enchères.

Le marché primaire de ces obligations est très restreint, il se limite à fin 2018 à 15 intervenants, appelés SVT (« Spécialistes en Valeurs du Trésor », établissements bancaires en charge de l’animation du marché de la dette, dont la liste est disponible ici). Lors des adjudications, l’État exprime via l’Agence France Trésor (AFT) le montant souhaité ainsi que les modalités de l’obligation (coupon, échéance, etc.). Chaque SVT se positionne en indiquant quel montant et à quel prix ces derniers souhaitent souscrire.

Et c’est ici que tout se joue. Car depuis plusieurs années sur les maturités courtes, et désormais sur les maturités longues, les investisseurs prêtent plus à l’État qu’ils ne seront remboursés par la suite. Par exemple, si l’État demande 100, il recevra des investisseurs 115. Mais les investisseurs seront toujours remboursés 100. Le prix auquel les investisseurs achètent les obligations est donc supérieur au nominal, qui sera remboursé à l’échéance.

Le montant des coupons étant à des niveaux très bas, ils ne permettent pas de générer suffisamment pour rattraper cet écart : le rendement de l’obligation apparaît alors négatif.

D’où l’expression « L’État emprunte à taux négatif », car malgré le versement de coupons positifs ou nuls, il remboursera moins que ce qu’il a emprunté.

Comme évoqué plus haut, c’est le contexte économique actuel qui pousse les investisseurs à se tourner massivement vers des actifs plus sûrs, comme la dette de l’État français. Au point d’accepter que l’opération ne soit pas rentable.

Les taux négatifs sont une aubaine pour les emprunteurs…

Alors, bonne ou mauvaise chose ? Si l’on se place du point de vue de l’emprunteur, le niveau actuel des taux d’intérêts est une aubaine. Revenons quelques années en arrière, où le niveau des taux était de nature à dissuader une entreprise d’investir, compte tenu du coût que cela représentait. Aujourd’hui ce n’est plus un sujet. De plus, la charge de la dette liée aux financements à court terme (généralement indexés sur l’EURIBOR) est également fortement réduite. Il en est de même pour les ménages, aujourd’hui les taux des prêts immobiliers s’approchent de la barre des 1%.

Le niveau actuel des taux représente ainsi une aubaine pour les entreprises, pour les ménages, mais aussi pour l’État qui, comme nous venons de le voir, est désormais en mesure de financer ses dépenses publiques à moindre coût, et donc de réduire petit à petit la charge de sa dette.

… mais suscitent de vrais sujets d’inquiétude

Cette situation n’est pas sans conséquence, et suscite un certain nombre d’inquiétudes.

L’accès au crédit étant facilité, on constate (en particulier en France) une augmentation significative de l’endettement privé. Le niveau actuel est d’ailleurs un vrai sujet d’inquiétude pour la Banque de France qui met en garde contre le risque que cela représente en cas de retournement. Dans ce contexte, le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) a décidé de renforcer début 2019 le « coussin contra cyclique » des établissements bancaires (matelas de fonds propres mobilisé en cas de retournement de cycle, permettant de garantir le maintien de l’offre de crédit).

Les emprunteurs sont ravis… les prêteurs un peu moins. Le niveau des taux d’intérêts exerce actuellement une forte pression sur les marges des établissements bancaires, déjà mis sous pression par des exigences de plus en plus fortes en matière de règles prudentielles, et par un environnement en pleine mutation (désertion des réseaux, montée en puissance des banques en ligne et des néo-banques, etc.).

Plus globalement, le niveau des taux actuel suscite une certaine inquiétude quant aux perspectives économiques… et aux marges de manœuvre en cas de retournement. D’un côté, les investisseurs se ruent en masse sur les obligations d’État en acceptant des rendements négatifs, signe d’une défiance certaine sur l’évolution prochaine du contexte économique. La persistance des taux bas et l’augmentation de l’endettement pourraient également être de nature à conduire à la formation de bulles. De l’autre, une marge de manœuvre limitée de la BCE… qui pourrait même la pousser à repenser le cadre de sa politique monétaire (la hausse du seuil d’inflation cible au dessus de 2 % a été évoquée, la modification des limites de détention des actifs serait potentiellement nécessaire afin de relancer le Quantitative Easing…).

Autant d’éléments qui poussent à penser que, malgré les avantages que représentent la possibilité de se financer facilement, le niveau actuel des taux d’intérêt n’est pas un très bon signe pour l’économie dans son ensemble.

Florent Goossens